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« Quand des images d’abattoirs circulent, je ne les regarde pas. Je n’en ai plus la force. A l’été 2015, j’ai passé deux mois dans un abattoir bovin en Bretagne. J’avais 21 ans et je sortais de ma première année d’études de lettres à Rennes, après une licence d’histoire de l’art. Neuf ans plus tard, je me demande encore comment j’ai eu le courage de faire ça.
J’ai trouvé ce job d’été grâce à une amie d’enfance qui y avait travaillé plusieurs années et avait glissé mon nom au moment du recrutement. J’avais besoin d’argent et aucun autre plan. On m’avait prévenue : le seul critère pour obtenir le boulot, c’était de tenir bon lors de la visite introductive. Il fallait vérifier que je supportais bien la vue du sang. Alors, je n’ai rien laissé paraître, j’ai serré les dents.
Ce jour-là, je me souviens du rouge, partout. Et surtout de l’odeur, à mi-chemin entre la mort et la Javel. Je m’y suis habituée, au fil des jours. J’ai appris à libérer ma conscience, en me disant que je n’étais pas à l’origine de ces actes, étant donné que je ne mange pas de viande. Je ne me souviens pas avoir fait de cauchemars. Mais, encore aujourd’hui, quand je traverse les champs à vélo et que je croise des vaches, j’ai parfois des flashs. Je les vois sur un piquet, sans vie, réduites à leur seule carcasse. Ça s’est un peu calmé.
Cet été-là, je travaillais pour le compte du ministère de l’agriculture en tant que membre vacataire du service vétérinaire de l’abattoir. Mon rôle était de contrôler le bon respect des règles d’hygiène, de vérifier que la viande était saine. Je n’ai jamais reçu de formation. J’ai appris sur le tas. Il y avait des gestes bien précis, des incisions à faire dans les organes. Des reins, des poumons, des cœurs… Sur le foie, par exemple, on m’avait appris à cibler une partie bien précise, pour en faire sortir un liquide. Parfois, il y avait des larves, translucides, signe que la viande était contaminée par des parasites, qu’elle était impropre à la consommation. Les salariés de l’entreprise, je ne les côtoyais pas du tout, c’était un monde à part.
Lorsque j’entends parler d’abattoirs qui ne respectent pas les conditions légales d’étourdissement des bêtes, cela ne m’étonne pas. Déjà, à l’époque, mes collègues, plus vigilants que moi car plus expérimentés, avaient du mal à s’assurer du respect du bien-être animal. Je me souviens de scènes fréquentes de tension avec les responsables des lignes d’abattage. C’était une sorte de bras de fer constant avec, d’un côté, ceux qui souhaitaient augmenter la cadence et, de l’autre, ceux qui voulaient faire respecter les règles. Ça a été mon job d’été le mieux payé.
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